Le choix du traîneau à chiens pour transporter le sérum à Nome répondait à une vérité fondamentale propre à l’Alaska : en 1925, la machine capable d’égaler l’endurance, la vitesse et la fiabilité des hommes et des chiens n’avait pas encore été inventée. L’avion serait peut-être une solution dans l’avenir, mais pour les habitants de Nome le traîneau à chiens représentait le seul espoir dans l’immédiat. Si l’on voulait enrayer l’épidémie, il fallait se fier à l’une des méthodes de transport les plus anciennes jamais développées, et emprunter les chemins et les pistes tracés par les anciens peuples de l’Arctique pour acheminer les secours.
L’utilisation du traîneau à chiens en Arctique datait de plusieurs milliers d’années et faisait partie intégrante de cultures autochtones bien adaptées aux conditions de vie et au climat les plus rigoureux de la terre. Isolés et inconnus du reste du monde, les Indiens Athapascans de l’intérieur et les Esquimaux du littoral avaient appris à survivre en profitant de toutes les ressources naturelles à leur disposition. La terre, la mer et la glace leur procuraient leur nourriture, leurs vêtements, leurs outils et leurs habitations. Tirant le meilleur parti de la moindre chose, leurs étonnantes innovations, dans cet environnement impitoyable, faisaient preuve d’une ingéniosité tout à fait remarquable et comptaient parmi les réussites les plus marquantes du genre humain.
À leur arrivée, certains étrangers, fiers de la technologie occidentale, pensaient naïvement n’avoir rien à apprendre de « sauvages primitifs », tout juste sortis de l’âge de la pierre. Les observateurs attentifs pensaient différemment. En 1921, l’explorateur Vilhjalmur Stefansson publia un récit sur son expédition de cinq ans en Arctique, qui connut un grand succès : The Friendly Arctic. Le thème de son ouvrage était simple : l’Arctique pouvait se montrer amical et hospitalier, comme presque tous les endroits du monde, pour peu que l’on apprenne à s’adapter aux conditions locales, que l’on adopte les vêtements adéquats et les techniques qui s’étaient développées avec succès au cours de milliers d’années. Ce principe simple joua un rôle important dans l’histoire de l’exploration moderne de l’Alaska et de l’Arctique : les explorateurs qui adoptèrent les méthodes de survie des autochtones s’adaptèrent mieux que les autres.
Sur une carte, l’Alaska paraît être au bout de la terre, mais en fait il se situe sur l’une des grandes routes de migration de l’histoire de l’humanité. Nombre de scientifiques pensent que l’Alaska est la porte par laquelle les hommes passèrent pour aller peupler l’Amérique. Il y a environ quinze mille ans, durant la dernière glaciation, le niveau des océans ayant baissé, le détroit de Béring et une grande partie de la mer de Béring formaient un pont large de plus de mille cinq cents kilomètres, appelé Béringie, et reliant la Sibérie à l’Alaska. Ce serait par ce pont que les premiers peuples chasseurs seraient entrés en Amérique du Nord. Ces bandes de « Paléo-Indiens » traversèrent lentement la Béringie, génération après génération, chassant les gros mammifères de la période glaciaire qui vivaient sur la toundra : mammouths laineux aux énormes défenses, bœufs musqués, bisons géants, orignaux, lions et tigres à dents en sabre. Les descendants de ces chasseurs nomades parcoururent les Amériques de long en large, et atteignirent la pointe de l’Amérique du Sud en à peu près un millénaire. On les considère comme les ancêtres des Amérindiens d’aujourd’hui.
Les dernières vagues de chasseurs inclurent d’abord les ancêtres des Athapascans qui habitent aujourd’hui la plus grande partie des forêts boréales de l’intérieur de l’Alaska et du nord du Canada, puis ceux des Esquimaux qui s’éparpillèrent à travers tout l’Arctique, jusqu’au Groenland. Ces deux grands peuples arctiques, chasseurs athapascans des forêts du Nord et chasseurs esquimaux de la toundra, se firent la plus froide des guerres froides pendant des générations, leurs territoires n’étant séparés que par un no man’s land que les uns et les autres ne traversaient qu’à leurs risques et périls. Un explorateur de la première heure raconte que, dans un groupe d’Esquimaux du nord de l’Alaska, « chaque homme qui avait tué un Indien se faisait tatouer les coins de la bouche comme signe distinctif ».
On croit généralement, et on l’a souvent écrit, que le mot « Esquimau » est un terme indien peu flatteur qui signifie « mangeur de viande crue ». Depuis les années soixante-dix, les Inuits du Canada le considèrent comme une insulte à caractère racial. En fait, à l’origine, le mot « Esquimau » faisait apparemment référence aux raquettes, et il est encore largement utilisé en Alaska[200]. Néanmoins, langues esquimaude et indienne reflètent l’ancienne rivalité qui existait entre ces deux populations. « De la baie d’Hudson à l’Alaska, écrivait l’anthropologue Wendell Oswalt, le terme Esquimaux appliqué aux Indiens signifiait habituellement “pouilleux”. »
À l’intérieur de l’Alaska, où vivaient les Athapascans, le climat est caractérisé par des hivers longs et sombres, et des étés courts et chauds[201]. Coupant à travers la grande forêt boréale, le Yukon, long de trois mille huit cent quatre-vingt-cinq kilomètres, prend sa source au Canada, à la frontière de la Colombie-Britannique et du Territoire du Yukon, traverse le sud et l’ouest du Yukon, serpente à travers l’Alaska et, arrivé au cercle arctique, change brusquement de direction et va se jeter dans la mer de Béring.
Les Athapascans étaient des semi-nomades, chasseurs, cueilleurs et pêcheurs qui se déplaçaient tout au long de l’année d’un campement saisonnier à l’autre, constamment à la recherche de nourriture. Au printemps, ils péchaient généralement le saumon, ramassaient des baies en été, et chassaient l’orignal et le caribou à l’automne et en hiver. Les caribous, qui vivaient en hardes, et les orignaux, plus insaisissables, étaient des proies très mobiles, et les chasseurs du Grand Nord connaissaient parfois la famine. En fait, pour la plupart des bandes, la famine était une composante de la vie quotidienne. Elles ne se demandaient pas si la nourriture allait manquer mais plutôt quand elle manquerait. Les familles devaient parcourir des centaines de kilomètres chaque année pour survivre.
Tels des guérilleros, les Athapascans couvraient de longues distances mais ils s’encombraient de peu de choses. Comme ils se déplaçaient constamment, leurs habitations étaient des plus simples. Leurs tipis étaient faits d’un cercle de perches enfoncées dans la neige, liées au sommet et recouvertes de peaux d’orignal cousues ensemble. Des peaux étaient également étendues sur le sol. Au centre du tipi, sous le trou à fumée, un cercle de pierres servait de foyer. Une fois le feu allumé en frottant deux bâtons, on l’entretenait soigneusement. On cuisinait sur les pierres chaudes qui réchauffaient également le tipi. Quand le moment était venu de partir, on éteignait le feu, roulait les peaux, liait les perches ensemble, et très vite tout le monde était prêt à se mettre en route. Pour marcher sur la neige épaisse, les Athapascans chaussaient des raquettes faites d’éclisses de bouleau et d’épicéa. Ils transportaient leurs affaires sur des luges munies de patins recourbés comme des skis. Ces luges mesuraient parfois jusqu’à neuf mètres de long. Pour les aider à la chasse et porter une partie du matériel, les Athapascans utilisaient des chiens, mais la plupart n’en avaient que quelques-uns car la nourriture manquait. À l’époque, les chiens ne tiraient pas de traîneaux mais ils portaient un bât équipé de sacs dans lesquels on rangeait du matériel ou le produit de la chasse.
À l’intérieur de l’Alaska, les hivers durent près de huit mois et le soleil n’apparaît alors que quelques heures chaque jour. Les hommes ne disposaient donc que de peu de temps pour chasser. Les Athapascans, disait-on, se dépêchaient toujours « de devancer l’obscurité ». La température tombait régulièrement à quarante-cinq degrés sous zéro et les tempêtes de neige étaient fréquentes. Cependant, pour certains, la neige était comme une carte routière qui indiquait les moindres déplacements des animaux et l’endroit où ils se trouvaient. Une seule flèche ou un seul coup de lance à la pointe en pierre dans le cœur d’un orignal, et le chasseur pouvait nourrir sa famille pendant l’hiver. Mais la plupart du temps, on ne voyait que très peu d’animaux en cette saison et ceux qui se montraient savaient comment éviter de devenir des proies faciles. Pour ne pas souffrir de la faim, les Athapascans construisaient des caches sur de hautes plateformes en bois qu’ils disposaient à des endroits stratégiques, près de leurs différents campements saisonniers. Dans ces caches, ils entreposaient des saumons séchés et de la viande d’orignal.
Génération après génération, les Athapascans acquirent des savoir-faire et des connaissances qui leur permirent de survivre. Ils connaissaient chaque méandre d’une rivière longue de centaines de kilomètres et les meilleurs endroits pour pêcher le saumon. Ils apprenaient à leurs enfants à évaluer l’épaisseur de la couche de glace qui recouvrait une rivière ou un lac, et à juger de son degré de résistance, en y enfonçant la pointe d’une lance. Ils empruntaient des raccourcis et des chemins de portage pour passer d’une rivière à l’autre.
S’ils se perdaient en forêt, ils grimpaient en haut d’un arbre pour tenter de se situer en repérant au loin le contour d’un lac connu ou la silhouette particulière d’une montagne. Beaucoup de familles disparaissaient sans laisser de trace. Mais, malgré le danger que cela représentait, les Athapascans pénétraient souvent dans les forêts car ils y trouvaient l’une des ressources essentielles à leur survie : l’épicéa.
Les Athapascans étaient un peuple de « l’âge de l’épicéa » car cet arbre toujours vert leur fournissait la structure de leurs tipis, leur couchage, le bois pour leurs caches, leurs canoës, leurs séchoirs à saumons, leurs raquettes, leurs pièges, leurs arcs et leurs flèches, mais également de la gomme à mâcher, du désinfectant et un bouillon médicinal. L’épicéa était le matériel de construction le plus usité et la principale source d’énergie du Nord ; il servait avant tout de bois pour le feu et procurait chaleur et lumière durant les huit mois de nuits hivernales. Avec une température de quarante-cinq degrés sous zéro, la chaleur était encore plus précieuse pour la survie immédiate que la nourriture et l’eau.
Vu l’importance essentielle de l’épinette blanche, son esprit possédait un pouvoir et une signification particulière. En vivant avec les Koyukons, l’anthropologue Richard Nelson apprit que l’esprit de l’épinette blanche était comme une bonne fée omniprésente qui protégeait les voyageurs épuisés et repoussait les mauvais esprits. On ne devait jamais couper une épinette blanche sans une bonne raison car son esprit était comme celui « des animaux les plus puissants ; mais il avait des effets essentiellement bénéfiques sur les hommes… On pouvait utiliser le pouvoir de l’esprit de l’épinette blanche de plusieurs façons salutaires, écrit Nelson. Les grands vieux arbres aux troncs épais et aux longues branches étalées protégeaient ceux qui s’endormaient à leurs pieds. »
En raison de leur relation particulière avec les arbres, la plupart des Athapascans craignaient d’être surpris par le mauvais temps au milieu de la toundra, sans forêt pour leur fournir du combustible, leur permettre de s’orienter et leur offrir un abri. Pour un Athapascan, tout arbre aperçu pendant une tempête était le bienvenu. Par contre, nombre d’Esquimaux avaient un point de vue totalement différent sur les forêts.
Si les Athapascans, qui parcouraient sans cesse les chemins, se sentaient chez eux dans les forêts, les Esquimaux étaient plus à l’aise le long des eaux glacées de la mer de Béring et de l’océan Arctique. Les anthropologues ne tarissent pas d’éloges quand ils évoquent l’ingéniosité et le savoir-faire des Esquimaux. Pour Wendell Oswalt, ils étaient les « impérialistes du Nord » et avaient la particularité d’être « le peuple autochtone le plus dispersé du monde ». Parlant d’eux, Richard Nelson n’a pas hésité à dire qu’ils étaient « l’un des peuples qui avaient le mieux réussi de toute l’histoire humaine… Ils avaient poussé l’animal humain aux limites de son endurance. Ils avaient appris à vivre avec de maigres ressources, dans une absence quasi totale de chaleur extérieure, là où le soleil disparaissait pendant des mois et où il était impossible de survivre ne serait-ce qu’un moment sans faire appel à toutes les ressources du génie humain. »
Les Esquimaux ne construisaient pas tous leurs habitations dans le Grand Nord ou sur la toundra dépouillée d’arbres, et ceci était particulièrement vrai à l’ouest de l’Alaska où ils étaient souvent installés sur le bord des rivières, à des centaines de kilomètres du littoral de la mer de Béring. Cependant, des milliers d’Esquimaux vivaient de façon permanente dans l’extrême Nord, là où ils étaient les seuls à pouvoir survivre grâce à leur savoir-faire et aux connaissances qu’ils avaient acquises, dans une région où il faisait trop froid et où le vent soufflait trop fort pour que le moindre petit arbre ou arbuste parvienne à pousser.
En réalité, les Esquimaux se plaisaient dans un environnement que la plupart des humains auraient considéré comme incroyablement rude et désolé. Ceux qui étaient installés sur la toundra préféraient ne pas voir de forêts ni d’arbres. À l’inverse des Athapascans, les Esquimaux du littoral croyaient la forêt néfaste et imaginaient les bois résonnant du bruit d’esprits tourmentés. Quand, dans les années vingt, l’explorateur danois Knud Rasmussen accomplit son légendaire périple en traîneau à chiens à travers l’Arctique, un homme nommé Igjugarjuk lui confia : « Nous croyons que les arbres des forêts sont des êtres vivants, seulement ils ne peuvent pas parler ; c’est pour cette raison que nous n’aimons pas passer la nuit en forêt. Ceux qui parfois ont été obligés de le faire racontent qu’ils ont entendu gémir et chuchoter parmi les arbres dans une langue qu’ils ne comprenaient pas. »
En plus de cette attitude totalement opposée envers les arbres, la culture esquimaude différait par bien des aspects de celle des Athapascans. Même les explorateurs européens, qui avaient commis la plus grave erreur géographique de l’histoire et baptisaient « Indiens » tous les groupes autochtones qu’ils rencontraient dans les Amériques depuis 1492, reconnurent dès leurs premiers contacts avec les Esquimaux du Groenland qu’ils étaient différents des autres peuples du Nouveau Monde, ne serait-ce qu’à cause de l’environnement dans lequel ils vivaient.
Certains des éléments qui devaient par la suite caractériser la culture esquimaude – kayaks et harpons spécifiques pour chasser les animaux marins comme les morses, les phoques et plus tard les baleines – firent leur apparition sur le littoral de la mer de Béring, il y a environ quatre mille ans. « Au-delà, soulignent les anthropologues S. A. Arotiunov et William Fitzhugh, la trace des origines des Esquimaux s’évanouit dans le brouillard de la mer de Béring. »
L’ingéniosité était certainement ce qui différenciait le plus les Esquimaux des autres groupes autochtones. Certains anthropologues affirment qu’ils avaient mis au point des techniques d’une complexité et d’un degré de perfectionnement jamais atteints parmi les peuples de chasseurs-cueilleurs. En tête de cette liste d’inventions vient le kayak. Ce petit bateau recouvert de peau, extrêmement léger, était remarquable pour sa vitesse et sa maniabilité. Explorant le Groenland en 1612, William Baffin observa que les Esquimaux « ramaient d’une façon incroyablement rapide. Aucun bateau au monde n’aurait été capable de se maintenir à la hauteur » de leurs kayaks. Leurs lunettes, sorte de masque en bois avec deux petites fentes pour les yeux, protégeaient extrêmement bien de la « cécité des neiges » ; et les « crampons » qu’ils fixaient à leurs bottes permettaient aux chasseurs de marcher sur la glace la plus glissante, même par grand vent.
L’igloo, la maison de glace au toit en dôme, est probablement l’invention des Esquimaux la plus connue et la mieux adaptée à l’environnement. Chauffé par la chaleur des corps et par de petites lampes en pierre, un igloo bien construit pouvait être relativement chaud et confortable, même avec des températures extérieures de quarante, quarante-cinq, voire cinquante degrés sous zéro. Pour le monde entier, l’igloo est devenu le symbole même de la culture esquimaude. En réalité, la grande majorité des Esquimaux du littoral n’a jamais vécu dans des igloos et n’en a peut-être même jamais vus. Les igloos étaient courants dans le centre du Canada où les conditions climatiques convenaient parfaitement, mais en Alaska, les iglus – le mot signifie simplement maison – étaient faits de mottes de terre et d’herbe. En 1932, l’auteur et explorateur danois Peter Freuchen vint en Alaska accompagné par une équipe de la MGM pour tourner un film, Eskimo, le premier long métrage en langue inupiaq. À sa grande déception, aucun des Esquimaux d’Alaska, à l’inverse de ceux qu’il avait connus au Groenland et au Canada, n’avait vu d’igloo. Il fut donc obligé de bâtir lui-même un village d’igloos pour le tournage de son film.
En Alaska, les maisons étaient le plus souvent semi souterraines, faites d’une structure en bois ou en os de baleine, recouverte de mottes de terre et d’herbe. Des intestins de phoque, tendus devant la fenêtre découpée dans le toit, laissaient passer la lumière. Une fois ouverte, la fenêtre servait de cheminée par laquelle s’échappait la fumée des lampes en pierre. L’espace à vivre, en forme de dôme, était relié à un long couloir d’entrée souterrain. Habiter sous terre était la meilleure façon de se protéger du climat ; l’air froid de l’extérieur, prisonnier dans le long couloir, ne remontait pas jusque dans la pièce à vivre. Des lampes, sculptées dans de la stéatite, de forme ovale comme pour tenir dans la paume de la main, garnies d’huile de phoque, avec une mèche en mousse sèche, procuraient chaleur et lumière. Nourriture, harnais des chiens, traîneaux, matériel de chasse et vêtements étaient rangés le long du couloir d’entrée, dans des compartiments. Ces maisons semi-souterraines ne servaient que durant les mois d’hiver. L’été, quand le sol gelé fondait et que les maisons étaient inondées, les familles gagnaient leurs campements de pêche.
Pour les Esquimaux, les travaux de couture étaient un art, une science et une religion. Leurs vêtements en peau et en fourrure leur permettaient non seulement de se mouvoir aisément par les températures les plus froides, mais ils avaient également plusieurs fonctions sociales : ils différenciaient les tribus les unes des autres, indiquaient le rang social et le sexe de ceux qui les portaient, et leurs croyances. Leurs vêtements étant faits avec la peau des animaux qu’ils chassaient, et leur succès à la chasse dépendant de la bonne volonté de leurs proies de s’offrir en sacrifice aux humains, la préparation des peaux, l’entretien et le port de ces vêtements prenaient pour les Esquimaux une importance capitale.
Dans les communautés esquimaudes, les femmes étaient avant tout des couturières ; aucun autre travail n’était plus important pour la survie de la famille. Si les bottes, les pantalons et les parkas n’étaient pas correctement cousus et entretenus, les hommes ne pouvaient pas chasser, et la valeur d’une femme était donc fonction de son aptitude à confectionner les vêtements de toute sa famille. Son travail n’était jamais véritablement achevé car les vêtements devaient être examinés, réparés et entretenus quotidiennement. La plus petite déchirure dans le vêtement d’un chasseur pouvait entraîner la mort.
Les petites filles apprenaient à coudre dès leur plus jeune âge. Elles s’exerçaient d’abord sur des poupées faites par leur père. Une fois la jeune fille mariée, son époux attentionné lui fabriquait tous les outils dont elle avait besoin et les personnalisait afin qu’ils soient mieux adaptés à sa main : aiguilles en ivoire et os d’oiseau, couteau en pierre, grattoirs en os de caribou et battoirs à neige, faits avec la ramure d’un caribou, qui servaient à garder les vêtements toujours secs. Parmi les outils les plus importants, une femme devait également avoir deux bonnes rangées de dents car il lui fallait mastiquer les peaux pour les assouplir. À l’occasion de fouilles, on a pu constater que les squelettes des hommes montraient nettement les signes de ce qui ressemblait à une synovite du coude due probablement au fait d’avoir jeté trop souvent leurs lances et leurs harpons, tandis que sur les squelettes des femmes, les dents étaient réduites à des chicots usés pour avoir trop mastiqué de peaux.
Billet simple pour l'Alaska
Chasseurs du Nord